Mon beau sapin AVINEWS DÉCEMBRE 2021 - Vogelwarte Sempach

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Mon beau sapin AVINEWS DÉCEMBRE 2021 - Vogelwarte Sempach
Pic cendré (photo : Markus Varesvuo)

AV I N E W S                                 DÉCEMBRE 2021

Mon beau sapin
La biodiversité progresse en fo-      versité des espèces. L’avifaune est     tensive du bois, sous certaines           prairie ou pâturage, en particulier,
rêt ! En phase avec cette excel-      ainsi directement influencée par        conditions, peut encourager la            est intéressante pour la biodiver-
lente nouvelle, nos projets en-       la structure de la forêt, sa gestion    biodiversité. Le « Plan d’action          sité. Enfin, nous voulons mettre
couragent un renouveau de la vie      et la tranquillité qui y règne – ou     Forêts claires » montre com-              à profit les chances que repré-
et de la diversité dans les forêts    pas. De plus en plus, la promo-         ment on peut créer plus d’habi-           sentent pour la biodiversité les
suisses.                              tion des oiseaux de nos forêts ré-      tats, par exemple pour l’engou-           événements en apparence des-
                                      unit les propriétaires, exploitants     levent d’Europe et le rougequeue          tructeurs que sont les incendies
L’image de la forêt suisse change.    et exploitantes forestiers, les au-     à front blanc, mais aussi pour les        de forêt ou le stress hydrique.
Alors qu’elle était seulement         torités, les partenaires de la pro-     papillons des forêts, les lézards             Une utilisation durable de la
pourvoyeuse importante d’une          tection de la nature et la Station      et les orchidées thermophiles.            forêt, attachée à promouvoir la
matière première indigène et re-      ornithologique. Une dynamique           Nous testons également les me-            biodiversité, a toutefois un coût.
nouvelable, elle est désormais        positive s’est ainsi développée ces     sures qui permettraient d’offrir          Mais le jeu en vaut la chandelle,
aussi reconnue comme régula-          dernières années.                       au pouillot siffleur les conditions       et à maints égards : des forêts ri-
trice du bilan hydrique, protec-          Dans cette édition d’Avinews,       dont il a besoin. L’agroforeste-          chement structurées et proches
trice contre les dangers naturels,    nous vous présentons quatre de          rie, une forme spéciale de forêt          de l’état naturel sont précieuses
protectrice du climat, espace de      nos projets forestiers. Si les ap-      claire, consiste à utiliser aussi bien    pour l’homme pour une va-
ressourcement des humains et,         proches sont variées, l’objectif        les arbres que les cultures à leurs       riété de raisons, ne serait-ce que
tout particulièrement, habitat in-    est clair : valoriser l’habitat forêt   pieds. Cette double utilisation du        comme espace de ressourcement.
dispensable d’innombrables es-        afin que les espèces d’oiseaux          sol est connue depuis des siècles,
pèces animales et végétales.          exigeantes puissent à nouveau y         avec le pâturage boisé du Jura,                        Matthias Kestenholz
    Aujourd’hui, il est évident que   vivre, comme les autres.                les selves de châtaigniers au Tes-
la manière dont nous utilisons la         Outre des forêts à l’état na-       sin ou avec les vergers haute-tige
forêt a un impact direct sur la di-   turel, une exploitation plus in-        classiques. L’utilisation du sol en
Mon beau sapin AVINEWS DÉCEMBRE 2021 - Vogelwarte Sempach
AVINEWS DÉCEMBRE 2021 : SOUS LA LOUPE

Une spécialiste du froid dans un monde plus chaud
                                                                                                                                    d’Autriche, étudie à quel point
                                                                                                                                    la niverolle alpine peut s’adap-
                                                                                                                                    ter à l’évolution des conditions
                                                                                                                                    environnementales en haute
                                                                                                                                    montagne.
                                                                                                                                       Pour ce faire, nous avons
                                                                                                                                    combiné les données de cou-
                                                                                                                                    verture neigeuse de l’Institut
                                                                                                                                    suisse pour l’étude de la neige
                                                                                                                                    et des avalanches (SLF) avec les
                                                                                                                                    observations de niverolles al-
                                                                                                                                    pines annoncées sur ornitho.
                                                                                                                                    ch suggérant une nidification,
                                                                                                                                    et avons pu ainsi calculer les
                                                                                                                                    dates d’éclosion. Dans la zone
                                                                                                                                    de répartition de la niverolle al-
                                                                                                                                    pine, la fonte des neiges se pro-
                                                                                                                                    duit aujourd’hui en moyenne
                                                                                                                                    deux semaines plus tôt qu’il y a
                                                                                                                                    20 ans à basse altitude, tandis
                                                                                                                                    que la date moyenne d’éclosion
                                                                                                                                    n’a pas bougé. Les niverolles
                                                                                                                                    adultes sont granivores, mais
                                                                                                                                    elles nourrissent leurs jeunes
                                                                                                                                    d’insectes et de leurs larves
                                                                                                                                    trouvées au bord des champs de
Spécialiste de la haute montagne, la niverolle alpine s'accomode bien des conditions difficiles (photo : Ralph Martin).             neige. Dès lors, il est bénéfique
                                                                                                                                    de synchroniser la période d’éle-
                                                                                                                                    vage des jeunes avec la fonte
En raison du climat, l’habitat de           dans des structures construites             riations d’une année à l’autre.             des neiges. Les modifications
la niverolle alpine connaît de              par l’homme telles que niches               Ce recul est d’autant plus pré-             des conditions neigeuses dues
profonds changements. Quelles               de bâtiments, pylônes de re-                occupant que notre pays abrite              au climat ont donc un impact
conséquences pour les spécia-               montées mécaniques et nichoirs.             au minimum 15 % des effec-                  négatif direct sur le succès des
listes du froid ? La Station orni-                                                      tifs européens de l’espèce, et              nichées. Quant à savoir pour-
thologique étudie les réactions             Effectifs en déclin                         porte ainsi une grande respon-              quoi la niverolle alpine, à basse
de la niverolle alpine au chan-             Les effectifs de niverolle sont             sabilité pour sa conservation au            altitude, n’a pas adapté son
gement climatique.                          en recul dans une bonne par-                niveau international. Ce déclin             comportement de nidification
                                            tie de sa zone de répartition –             est constaté surtout à basse al-            à la nouvelle période de fonte
Le climat de haute montagne                 du moins là où l’évolution est              titude. Pour cette raison, la Sta-          des neiges, c’est encore un mys-
est marqué par des conditions               connue. Depuis 1990, la popu-               tion ornithologique suisse, en              tère. Ce qu’on sait en revanche,
extrêmes, notamment des tem-                lation a baissé de 20-30 % en               collaboration avec des équipes              c’est qu’il est judicieux de lui
pératures très basses et des pé-            Suisse, mais avec de grandes va-            d’Espagne, de France, d’Italie et           offrir des aides à la nidification
riodes de végétation courtes.
Cet environnement rude, asso-
cié à des changements de temps
brusques et imprévisibles, exige
des espèces alpines des adapta-
tions particulières. La niverolle
alpine fait partie de ces spécia-
listes qui vivent toute l’année
dans les étages supérieurs des
montagnes. Plus grande et plus
lourde que le moineau domes-
tique, le rapport entre la surface
de son corps et son volume est
plus avantageux pour la ther-
morégulation. Elle passe les
nuits glaciales dans des anfrac-
tuosités de rochers abritées du
froid et de l’humidité, qu’elle
défend face à ses congénères.
Pour ses nichées, elle recherche
avant tout des cavités protégées               Les niverolles alpines quittent le nid après 21 jours environ, et sont encore nourries d’insectes et de larves pendant quelques
du vent, mais elle s’installe aussi            jours par les parents, avant de se tourner vers une alimentation granivore (photo : Christian Schano).

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AVINEWS DÉCEMBRE 2021 : SOUS LA LOUPE

                                                                                  rolles et les avons analysés. Pa-           L’espèce peut-elle s’adapter
                                                                                  rallèlement, nous avons informé             aux conditions neigeuses chan-
                                                                                  le public des risques de trans-             geantes ? Nous tentons d’y ré-
                                                                                  mission de maladies aux man-                pondre par nos recherches ac-
                                                                                  geoires et l’avons sensibilisé aux          tuelles. Le marquage d’individus
                                                                                  mesures d’hygiène, pour ne pas              par des bagues de couleur et
                                                                                  favoriser la contagion entre les            leur suivi nous donnent des indi-
                                                                                  oiseaux venant se nourrir. Tous             cations précieuses sur les sché-
                                                                                  les échantillons de ces deux der-           mas de déplacement et les taux
                                                                                  niers hivers se sont heureuse-              de survie. Des géolocalisateurs
                                                                                  ment révélés négatifs, et nous              nous fourniront également des
                                                                                  n’avons pas non plus reçu d’ob-             informations plus précises sur
                                                                                  servations de niverolles alpines            les sites occupés et la position
                                                                                  malades ou mortes. Néanmoins,               des cavités-dortoirs, mais aussi
                                                                                  nous restons attentifs pour pou-            des données sur l’activité des oi-
                                                                                  voir réagir rapidement en cas de            seaux. De plus, nous allons me-
                                                                                  nouvelle flambée.                           surer grâce à des méthodes gé-
Grâce aux bagues de couleur, il est possible de suivre un individu tout au long                                               nétiques les échanges entre dif-
de sa vie. Le mâle E23 est sorti de l’œuf en 2018 dans un nichoir du col de la    Questions ouvertes,                         férentes populations des Alpes
Furka – où il niche lui-même depuis 2020 (photo : Dieter Haas).
                                                                                  objectif clair                              et d’autres massifs montagneux.
                                                                                  Les études menées jusqu’à pré-              Enfin, nous souhaitons com-
sur plusieurs niveaux d’altitude,         son travail de master la concur-        sent montrent que la situation              prendre comment évoluent les
de sorte qu’elle puisse trouver           rence qui s’exerce entre mâles          géographique du nid et sa dis-              effectifs de niverolle alpine dans
des sites adaptés aux alentours           et femelles en hiver sur les sites      tance aux bords du champ de                 un environnement qui connaît
des champs de neige, confor-              de nourrissage.                         neige sont des facteurs impor-              des changements rapides – et
mément à ce qu’a trouvé Ca-                   Outre la modification des           tants pour le succès de nidifi-             comment stabiliser sa popula-
role Niffenegger dans son tra-            conditions neigeuses pendant la         cation de la niverolle alpine. Le           tion dans les Alpes.
vail de master.                           période de nidification, les ma-        rapport entre emplacement du
                                          ladies représentent une autre           nid et succès de reproduction                                Sebastian Dirren,
Étés secs et maladies, des                menace. Durant les hivers 2017-         n’est cependant toujours pas                       Fränzi Korner-Nievergelt &
facteurs qui comptent                     2018 et 2018-2019, nous avons           quantifié. On ne sait pas non                               Christian Schano
L’impact de la météo et du cli-           reçu des annonces de niverolles         plus vraiment comment les dif-
mat sur la niverolle alpine se            alpines malades ou mortes. Afin         férents facteurs que sont la dé-
fait aussi sentir en été : l’ana-         d’identifier l’agent pathogène,         pense différenciée d’énergie, la
lyse des données de baguage               nous avons examiné quatre               concurrence pour la nourriture
des Abruzzes italiennes a mon-            individus décédés. Chez trois           et les maladies interagissent
tré que la survie des femelles            d’entre eux, la mort était due à        entre eux ou influencent la sur-
était beaucoup plus fortement             des salmonelles. Le quatrième           vie. D’autres questions restent
influencée par la chaleur et la           avait succombé en revanche à            en suspens : quels sont les para-
sécheresse estivales que celle            une infection de Trichomonas            mètres démographiques décisifs
des mâles. Ces résultats sug-             gallinae, parasite attaquant le         pour l’évolution des effectifs ?
gèrent que seules les femelles            tractus digestif supérieur chez
dépensent pour la reproduc-               certaines espèces. Il s’agit du
tion une énergie supérieure à             premier cas documenté de tri-
la moyenne pendant les étés               chomonose chez une niverolle
chauds et secs. Il est aussi pos-         alpine. À l’aide de méthodes gé-
sible que l’offre en graines soit         nétiques, nous avons pu mon-
réduite, entraînant alors une             trer que la souche de Tricho-
concurrence accrue pour la                monas en cause appartenait au
nourriture. Les femelles, plus            même groupe que celui ayant
petites, seraient alors désavan-          provoqué un grave recul des ef-
tagées. Il se pourrait que tous           fectifs de verdier d’Europe sur
ces facteurs aient un impact si           tout le continent. En égard aux
fort que cela entraîne un taux            populations déclinantes de ni-
de survie des femelles plus               verolle alpine, cette découverte
faible également en hiver. Afin           doit être prise au sérieux.
de comprendre ce phénomène,                  Tant les salmonelles que le
nous étudions actuellement                Trichomonas peuvent se trans-
comment les comportements                 mettre à la mangeoire. Au cours
alimentaires respectifs des fe-           des deux derniers hivers, nous
melles et des mâles sont influen-         avons par conséquent réguliè-              En hiver, les niverolles alpines se réunissent aussi en grands groupes, qui révèlent
cés par les conditions météoro-           rement récolté des échantillons            des éléments intéressants sur le comportement de dominance à la mangeoire et
                                                                                     permettent de déduire la présence d’agents pathogènes (photo : Christian
logiques. Par ailleurs, Anne-Ca-          de fientes et de salive aux man-
                                                                                     Schano).
thérine Gutzwiller examine dans           geoires fréquentées par les nive-

                                                                                                                                                                    3
Mon beau sapin AVINEWS DÉCEMBRE 2021 - Vogelwarte Sempach
AV I N E W S D É C E M B R E 2 0 2 1 : C O N S E R VAT I O N D E S O I S E A U X

Forêts claires et conservation des espèces cibles :
un plan d’action
                                                                                               La planification des mesures           des espèces cibles potentielles,
                                                                                           pour créer des forêts claires doit         (2) une cartographie des obser-
                                                                                           désormais prendre en compte                vations des espèces cibles dont
                                                                                           les espèces cibles et leurs exi-           la présence est attestée et (3) les
                                                                                           gences écologiques. Les es-                exigences écologiques des es-
                                                                                           pèces cibles sont celles qui, du           pèces cibles.
                                                                                           fait des menaces qui pèsent sur                Pour chaque station fores-
                                                                                           elles ou de leurs exigences éco-           tière, des principes d’exploita-
                                                                                           logiques, ont besoin de mesures            tion favorables au plus grand
                                                                                           de conservation spécifiques. La            nombre d’espèces cibles ont été
                                                                                           liste des espèces cibles des fo-           formulés. Ces derniers servent
                                                                                           rêts claires d’InfoSpecies com-            de ligne directrice pour la plani-
                                                                                           prend 234 espèces de lichens,              fication des mesures. Ils doivent
                                                                                           champignons, plantes, et in-               si possible être pris en compte,
                                                                                           sectes. 7 oiseaux en font éga-             à condition qu’ils n’entrent pas
                                                                                           lement partie : gélinotte des              en contradiction avec des pro-
                                                                                           bois, tétras lyre, grand tétras,           grammes de conservation en
                                                                                           bécasse des bois, engoulevent              cours.
                                                                                           d’Europe, pic cendré et rouge-                 Lier la conservation générale
                                                                                           queue à front blanc.                       des habitats avec la conserva-
                                                                                               La collaboration entre spé-            tion spécifique des espèces n’est
                                                                                           cialistes des espèces et des fo-           pas facile, mais permet une uti-
                                                                                           rêts est essentielle au succès des         lisation efficiente des ressources
                                                                                           projets de conservation : seule            limitées allouées à la protection
                                                                                           la connaissance des espèces et             de la nature. Les connaissances
                                                                                           de leurs exigences par les fo-             acquises dans le cadre de ce
                                                                                           restiers et forestières leur per-          plan d’action permettent d’éla-
                                                                                           mettra d’en tenir compte dans              borer des plans d’action simi-
                                                                                           leur travail quotidien. De leur            laires pour des espèces cibles
                                                                                           côté, les spécialistes des es-             d’autres habitats. Ce plan d’ac-
                                                                                           pèces doivent transmettre les              tion est donc aussi un projet pi-
                                                                                           connaissances disponibles sous             lote.
                                                                                           une forme adaptée à la pratique,
Le plan d’action traite aussi les forêts claires issues d’une exploitation particulière.   et mettre à disposition les ins-           « Plan d’action Forêts claires »
Les selves de châtaigniers, par exemple, sont apparues par suite de leur double            truments décisionnels adéquats.            et plus amples informations sur
utilisation comme vergers et pâtures. En plus des châtaigniers souvent noueux
                                                                                           Dans le cadre de ce plan d’ac-             www.infospecies.ch/fr/projets/
et à grands houppiers, la strate herbacée formant un tapis continu, créé par la
pâture, est caractéristique (photo : Peter Steiger).                                       tion, un outil en ligne a donc             plandaction-forets-claires.html.
                                                                                           été créé pour permettre aux
                                                                                           forestiers et forestières de s’en-             Reto Spaar, Nicole Imesch &
Plusieurs espèces cibles des fo- vation des habitats à celle des                           quérir des espèces cibles et de                             Barbara Stöckli
rêts claires sont au centre d’un espèces qu’InfoSpecies et le                              leurs exigences pour n’importe
nouveau plan d’action qui vise groupe de travail Biodiversité                              quelle surface forestière et sta-
à mieux les prendre en compte, en forêt de la Société forestière                           tion convenant à la forêt claire.
ainsi que leurs exigences éco- suisse ont créé le plan d’action                            L’outil comprend (1) une liste
logiques, dans les projets sylvi- « Conservation des espèces cibles
coles de revalorisation des fo- dans les forêts claires », avec le
rêts claires.                        soutien financier de l’OFEV.
                                        Toutes les forêts dont le sol
Les forêts claires se sont raréfiées reçoit beaucoup de lumière ne
ces derniers siècles, notamment sont pas propices à une forêt
du fait des changements de pra- claire de bonne qualité. Sur de
tique forestière. La disparition     nombreuses stations à croissance
des structures propres à la forêt végétale rapide, l’investissement
claire rend la vie dure aux nom- qui serait nécessaire au maintien
breuses espèces qui ont besoin       à long terme d’une forêt claire
d’une densité d’arbres faible, de    est beaucoup trop grand. C’est
houppiers clairsemés et d’un mi- pourquoi les stations forestières
croclimat chaud dans les strates     appropriées ont été définies, et
buissonnante et herbacée.            les 46 qui se prêtent à la conser-                       Les espèces cibles des selves de châtaigniers sont notamment le sylvandre
   C’est dans ce contexte et afin    vation ont été intégrées au plan                         (Hipparchia fagi) et le lucane cerf-volant (Lucanus cervus) (photo : Jörg Gemsch,
                                                                                              Heidi Jost).
de mieux accorder la conser- d’action.

   4
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Comment promouvoir le pouillot siffleur ?
                                                                                                                                    prouvée. En revanche, les me-
                                                                                                                                    sures n’ont montré aucun effet
                                                                                                                                    sur la fréquence d’autres oiseaux
                                                                                                                                    nicheurs. Il semble ainsi que des
                                                                                                                                    interventions forestières ciblées
                                                                                                                                    dans les surfaces adéquates
                                                                                                                                    puissent créer un habitat conve-
                                                                                                                                    nant à la nidification du pouillot
                                                                                                                                    siffleur, au moins à court terme.
                                                                                                                                    Elles sont cependant relativement
                                                                                                                                    chères et leur effet à long terme
                                                                                                                                    est incertain.

                                                                                                                                    Conserver les habitats de
                                                                                                                                    nidification
                                                                                                                                    Il est dans tous les cas prioritaire
                                                                                                                                    de conserver les habitats de nidifi-
                                                                                                                                    cation existants et déjà occupés. Il
                                                                                                                                    convient donc de renoncer à pra-
                                                                                                                                    tiquer des éclaircies dans ces peu-
                                                                                                                                    plements. Les forestiers et fores-
                                                                                                                                    tières et les propriétaires peuvent
En éliminant l’abondante strate arbustive, un habitat approprié pour le pouillot siffleur est créé (photos : Elias Häller, Karin
Feller).
                                                                                                                                    ainsi contribuer à conserver le
                                                                                                                                    plus longtemps possible l’habitat
                                                                                                                                    existant. Par des subventions non
                                                                                                                                    seulement pour « forêts claires »
La Station ornithologique, en col-           des oiseaux en Suisse », le pouil-           timer les effets des mesures              mais aussi pour « forêts feuillues
laboration avec les forestiers et fo-        lot siffleur dépend de mesures de            sur d’autres espèces d’oiseaux.           homogènes et sombres », ainsi
restières, a transposé dans un pro-          conservation spécifiques.                    En 2021, la Fondation Fleder-             que par des conventions pour
gramme de conservation le savoir                                                          mausschutz a de plus étudié la            conserver les habitats de nidifi-
acquis à ce jour par la recherche            Utilité des mesures forestières              présence de plusieurs espèces de          cation, les pouvoirs publics et les
sur les exigences écologiques du             ciblées                                      chauves-souris par un suivi acous-        institutions privées peuvent sou-
pouillot siffleur.                          Dans le cadre du programme de                 tique.                                    tenir les acteurs et actrices fo-
                                            conservation initié en 2016, les                  Les résultats montrent que            restiers dans la conservation du
La population suisse du pouil-              mesures sylvicoles ciblées pour               ce genre d’interventions sur des          pouillot siffleur en Suisse.
lot siffleur a connu un net recul           le pouillot siffleur ont été dé-              surfaces adéquates peut favori-
depuis les années 1990, et l’es-            terminées. C’est ainsi qu’en hi-              ser l’installation du pouillot sif-                               Karin Feller,
pèce figure depuis 2010 dans                ver 2016-17, des interventions                fleur, en particulier si l’espèce                       Alex Grendelmeier &
la catégorie « vulnérable » de la           ont eu lieu en collaboration avec             est déjà présente à proximité.                              Gilberto Pasinelli
Liste rouge. Les habitats forestiers        les forestiers et forestières locaux          Une plus grande activité de cer-
qu’il préfère sont sujets à une in-         dans des forêts du nord-ouest de              taines espèces de chauves-sou-
cessante disparition, du fait de            la Suisse non occupées par l’es-              ris dans les surfaces avec inter-
la pratique sylvicole actuelle de           pèce, mais pouvant lui convenir :             ventions a également pu être
la forêt permanente et de l’aug-            l’élimination de petits arbres et
mentation de l’apport d’azote               de buissons dans la strate arbus-
en forêt, qui favorise une strate           tive a permis d’éclaircir la zone
herbacée plus luxuriante. Ses exi-          proche du sol et la partie infé-
gences écologiques conduisent               rieure des troncs, tout en gardant
le pouillot siffleur à coloniser en         intacte la canopée fermée.
premier lieu des forêts de feuil-               Pour évaluer l’effet de ces in-
lus dès le stade jeune futaie, à            terventions, la Station ornitho-
partir d’un diamètre de tronc de            logique a relevé, entre 2016 et
30 cm, et qui présentent plutôt             2020, diverses données sur les
une canopée fermée et homo-                 surfaces sujettes aux mesures et
gène. La quasi-absence de vé-               sur des surfaces contrôles, non
gétation dans les strates herba-            touchées. Certaines propriétés
cée et arbustive et une couver-             de la structure forestière ont été
ture du sol modérée à moyenne               relevées, ainsi que la présence
par de l’herbe sont également               du pouillot siffleur et d’autres
importantes. Espèce prioritaire             oiseaux nicheurs, et également                    Les mesures forestières fonctionnent : ici un pouillot siffleur défendant son
du programme « Conservation                 celle de souris. Il s’agissait d’es-              territoire après une intervention (photo : Adrian Wullschleger).

                                                                                                                                                                      5
Mon beau sapin AVINEWS DÉCEMBRE 2021 - Vogelwarte Sempach
AVINEWS DÉCEMBRE 2021 : LA PROTECTION DES OISEAUX EXPLIQUÉE

Agroforesterie : les chances et les risques
L’agroforesterie est une chance       de nombreuses régions. Même                vanneau et autres soient pris en            forestiers. La combinaison de
pour la biodiversité. Mais si on      si elle reste plus fréquente en            considération lors de la planifi-           bandes herbeuses, de jachères
ne prête pas attention au choix       Suisse romande, ses effectifs y            cation de systèmes sylvoarables.            florales, de groupes de buissons
du site, alouette des champs et       ont aussi régressé. Les raisons            Nous recommandons de plan-                  et de petites structures permet
autres espèces d’oiseaux me-          sont principalement imputables             ter des structures basses tels que          d’atteindre une grande valeur
nacées des milieux cultivés ou-       à l’intensification de l’agricul-          des arbustes isolés ou des pe-              écologique. Cela peut valoir la
verts risquent d’être exclues de      ture et à l’augmentation des               tits groupes de buissons plutôt             peine sur le plan financier aussi,
leur habitat.                         constructions. Dans le cas où les          que des arbres dans les régions             si les critères de verger à haute-
                                      aménagements sylvoarables ve-              où les espèces citées sont pré-             tige de qualité II sont remplis.
Le terme « agroforesterie » dé-       naient à croître, à cause de sub-          sentes. Tant que les structures             Mais pour le bien de l’alouette
signe l’art de faire coexister des    ventions ou du soutien financier           sont basses, l’impact négatif sur           des champs, de la caille des blés,
cultures et des arbres dans les       d’entreprises privées en faveur            les nicheurs au sol est quasi nul.          du vanneau huppé et de la ber-
champs et prairies. Les formes        de la durabilité, l’alouette des           Les bandes herbeuses et les ja-             geronnette printanière, les nou-
d’exploitation traditionnelles        champs et d’autres pourraient              chères peuvent de plus offrir un            veaux aménagements doivent
telles que pâturages boisés, sel-     se retrouver menacés.                      habitat à la fauvette grisette, au          être prévus près des bosquets,
ves de châtaigniers et vergers                                                   tarier pâtre et à la pie-grièche            lisières de forêt et villages.
haute-tige en sont des exemples.      Nouvelle feuille d’information             écorcheur, comme c’est le cas
Ces systèmes sont souvent             Le fait que ces aménagements               par exemple dans les zones de                                   Dominik Hagist
extensifs, riches en structures,      sylvoarables causent du tort à             grandes cultures du Klettgau SH,
et donc précieux pour la bio-         certaines espèces d’oiseaux me-            du Grand Marais BE/FR et de la
diversité. Depuis quelques an-        nacées est peu intuitif. Une nou-          Champagne GE.
nées, on parle de plus en plus        velle fiche d’information de la                Les structures basses consti-
de « systèmes sylvoarables », as-     Station attire l’attention sur ce          tuent une valeur ajoutée égale-
sociant arbres et cultures arables.   conflit, et vise à ce qu’alouette,         ment dans les systèmes agro-
Les arbres réduisent l’érosion, le
lessivage des nitrates et l’émis-
sion de gaz à effet de serre et
ont ainsi un impact positif sur
l’environnement. C’est pour-
quoi il est question d’octroyer
des paiements directs pour ce
type de parcelles, ces systèmes
étant vus comme une mesure fa-
vorable au climat. L’agrofores-
terie peut bel et bien augmen-
ter la diversité structurale, mais
ce genre d’aménagements peut
aussi porter préjudice aux oi-
seaux des paysages cultivés ou-
verts.

Les oiseaux nichant au sol ont
besoin des milieux ouverts               La protection de l’alouette des champs, de la caille des blés, du vanneau huppé et de la bergeronnette printanière demande
Les plantations d’arbres en              de renoncer aux aménagements agroforestiers au milieu des grandes cultures (photo : Marcel Burkhardt).
plein champ sont indésirables
du point de vue de la protec-
tion des oiseaux. L’alouette des
champs, la caille des blés, le van-
neau huppé et la bergeronnette
printanière ont besoin des pay-
sages ouverts. L’alouette des
champs, en particulier, reste à
distance des grandes et hautes
structures. Originaire des step­
pes, elle est spécialiste des ha-
bitats ouverts, et est l’espèce
la plus fréquente parmi les ni-
cheurs au sol des terres culti-
vées ouvertes. Cependant, elle
compte parmi les oiseaux qui
ont souffert des pertes les plus
importantes en Suisse ces der-
nières décennies. En Suisse alé-         À proximité des bosquets et des villages, l’agroforesterie ne pose pas de problème aux oiseaux des milieux agricoles ouverts.
manique, elle a déjà disparu             Des espèces d’oiseaux des habitats environnants peuvent aussi en profiter (photo : Marcel Burkhardt).

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Mon beau sapin AVINEWS DÉCEMBRE 2021 - Vogelwarte Sempach
AVINEWS DÉCEMBRE 2021 : LA PROTECTION DES OISEAUX EXPLIQUÉE

Événements extrêmes en forêt, une chance
pour la biodiversité
D’abord destructeurs, les événe-          magées par le feu ou le vent, la
ments extrêmes peuvent aussi of-          perte de structures comme le bois
                                                                                         Sous-projet « Le stress hydrique en tant qu'opportunité »
frir nouvelles structures et diver-       mort ou les habitats pionniers –
sité à nos forêts. La Station orni-       ou les empêche tout bonnement                  Surfaces recherchées dans la zone rouge :
thologique, de concert avec les           d’apparaître.                                  • forêts feuillues et mixtes à fonction
propriétaires forestiers et des par-          Une autre solution consiste                  première de « production de bois »
tenaires, souhaite garantir ces sur-      à garantir contractuellement à                 • au moins 1 ha de surface d’un seul
faces pour la biodiversité.               court terme les surfaces concer-                 tenant
                                          nées et leurs structures, afin d’as-           • peuplement d’arbres au stade « futaie »
Avec le changement climatique,            surer la succession naturelle. La              • nombreux feuillus dépérissant (50-100 % des arbres avec > 30 % de
les extrêmes météorologiques              Station ornithologique propose                   bois mort dans le houppier ou défoliation ≥ 50 %, signes de dégâts
vont se multiplier. Les événe-            ainsi aux propriétaires concernés                tels que suintements, etc.)
ments tels que tempêtes ou in-            un contrat prévoyant de les dé-
cendies ont le potentiel de mo-           dommager pour une renoncia-                    Engagement des propriétaires :
difier nos forêts en profondeur.          tion d’exploitation d’une durée                • Renonciation à l’exploitation env. 30 ans, exceptions : sécurité des che-
La diversité des structures et des        de 30 ans. De plus, nous souhai-                 mins et autres ouvrages, mesures phytosanitaires (bois restant sur place)
habitats peut augmenter, et être          tons avec des partenaires locaux
ainsi bénéfique à la diversité des        expliquer au public le rôle des fo-
espèces et à l’écosystème. Les hu-        rêts « désordre », des arbres pour-
mains sont fondamentalement               ris et des zones de forêts claires         réduit ou visiblement atrophié :            listes de la branche. Il s’agit de
dépendants des fonctions multi-           avec quelques vieux arbres, et             les houppiers paraissent moins              garantir davantage ces surfaces
ples offertes par un écosystème           l’importance de les tolérer. La            pleins. Ces arbres souffrent                et d’étendre le projet à d’autres
intact, et dans ce domaine, la di-        forêt qui domine chez nous au-             de stress hydrique, et nombre               cantons. Pour savoir si votre fo-
versité n’est jamais trop grande.         jourd’hui, dense avec de grands            d’entre eux vont très vraisembla-           rêt entrerait en ligne de compte,
                                          arbres puissants, est en effet trop        blement mourir dans les années à            consultez l’encadré ci-dessous
Comment réagir à un                       peu variée.                                venir. Conséquence : l’apparition           et la page www.vogelwarte.ch/
événement extrême ?                                                                  de beaucoup de bois mort, ce                evenements-extremes. Vous trou-
Derrière chaque surface fores-            On recherche : surfaces                    qui renforcera l’habitat de nom-            vez par ailleurs sur notre site in-
tière touchée par un événement            forestières abîmées avec                   breuses espèces menacées. Pour              ternet des informations sur les
extrême, il y a des propriétaires         potentiel                                  cette raison, la Station a lancé un         sous-projets « La tempête en tant
confrontés à des décisions com-           L’été humide de 2021 a été pré-            premier sous-projet dans les deux           qu'opportunité » et « Incendies
pliquées. L’exploitation forcée, as-      cédé de plusieurs années de                demi-cantons bâlois, très concer-           de forêt en tant qu'opportunité ».
sociée à un reboisement, est sou-         grande sécheresse. Les répercus-           nés, intitulé « Le stress hydrique
vent le seul moyen de compenser           sions sur les forêts ne sautent pas        en tant qu'opportunité ». Il est                          Alex Grendelmeier &
un peu les pertes financières su-         aux yeux, mais à y regarder de             soutenu par l’association can-                                     Karin Feller
bies. Ce type de mesures entraîne         plus près, on voit que beaucoup            tonale des propriétaires fores-
toutefois, sur les surfaces endom-        d’arbres présentent un feuillage           tiers, les cantons et des spécia-

Les incendies créent des habitats pionniers pour les espèces rares comme l’épinard   La défoliation est un signe clair de stress hydrique. Ce type de peuplements offre un
fraise en baguette ou l’engoulevent d’Europe (photo : Livio Rey).                    habitat à des espèces menacées comme le pic cendré ou la rosalie alpine (photo :
                                                                                     Station ornithologique suisse).

                                                                                                                                                                     7
Mon beau sapin AVINEWS DÉCEMBRE 2021 - Vogelwarte Sempach
AVINEWS DÉCEMBRE 2021 : HOMMAGE

Nouveaux horizons pour Felix Liechti
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                                                                                                                                  et des insectes dans l’espace aé-
                                                                                                                                  rien qui est mesuré, et que l’on
                                                                                                                                  tente de mettre en relation avec
                                                                                                                                  les données météorologiques, cli-
                                                                                                                                  matiques et paysagères. Felix a
                                                                                                                                  installé sur le toit de la Station un
                                                                                                                                  radar de référence, qui mesure en
                                                                                                                                  permanence la migration au-des-
                                                                                                                                  sus de Sempach.
                                                                                                                                      Par sa curiosité insatiable,
                                                                                                                                  son intérêt tant pour l’écologie
                                                                                                                                  que pour la méthodologie, et la
                                                                                                                                  combinaison astucieuse des ap-
                                                                                                                                  proches quantitative (radar), qua-
                                                                                                                                  litative (géolocalisateurs) et théo-
                                                                                                                                  rique (modèles migratoires), Fe-
                                                                                                                                  lix a donné un essor formidable
                                                                                                                                  à l’aéroécologie. Qui plus est,
Sur le terrain, Felix Liechti est dans son élément ! On le voit ici analysant des données radar dans le Sahara mauritanien        il a suivi – à côté de son acti-
(photo : Station ornithologique suisse).                                                                                          vité d’enseignement à l’Univer-
                                                                                                                                  sité de Bâle – de nombreux étu-
                                                                                                                                  diants et étudiantes et post-doc-
Pendant plus de trente ans, il s’est       collaboration avec la Haute                années l’Office fédéral de l’avia-          torants et post-doctorantes dans
employé à percer les secrets de            école spécialisée de Berthoud,             tion civile sur la prévention des           leurs travaux académiques, ap-
la migration des oiseaux. Felix            son équipe développe des géo-              collisions avec les oiseaux dans les        portant ainsi une contribution es-
Liechti prend aujourd’hui sa re-           localisateurs minuscules capables          aéroports, et le représente auprès          sentielle à leur formation. Enfin,
traite. Ses approches innovantes           d’enregistrer les routes migra-            de l’International Birdstrike Com-          il s’est beaucoup engagé dans
ont permis de révéler des aspects          toires des espèces de petite taille        mittee.                                     la création d’un groupe de re-
passionnants de la migration et            comme la huppe fasciée, l’hi-                  La technique développée pour            cherche compétent et jouissant
contribué à redéfinir l’aéroéco-           rondelle rustique, le traquet              la mesure quantitative de la mi-            aussi d’une grande renommée in-
logie.                                     motteux ou le martinet à ventre            gration des oiseaux débouche sur            ternationale. Au terme de cette
                                           blanc. Sous sa houlette, ces ta-           un partenariat de recherche entre           carrière riche et inspirante, c’est
Felix Liechti grandit à Herisau,           chygraphes miniaturisés et leurs           la Station et l’Agence spatiale eu-         un autre chapitre qui s’ouvre pour
dans le très terrien Appenzell             composants se perfectionnent et            ropéenne. L’équipe de Sempach               Felix Liechti. Que nos vœux les
Rhodes-Extérieures, où rien ne             des méthodes sont développées              est chargée de calibrer un réseau           plus chaleureux accompagnent
le prédispose à étudier les oi-            pour leur analyse. La production           existant de 80 radars météorolo-            ce collègue de longue date sur
seaux dans le ciel. Mais une fois          en série de géolocalisateurs mise          giques couvrant toute l’Europe.             sa nouvelle trajectoire !
ses études de zoologie et bota-            sur pied au sein de la Station et la       Felix profite de la chance unique
nique à l’Université de Zurich             coopération avec des partenaires           ainsi offerte à son équipe de pou-                          Matthias Kestenholz,
terminées, sa future vocation se           à l’étranger permettent d’éluci-           voir étudier la migration sur la to-                         Gilberto Pasinelli &
dessine : il travaille dans un bu-         der aussi les routes migratoires du        talité du continent. C’est alors                                 Barbara Trösch
reau de protection de l’air, et ré-        phalarope à bec étroit, du gorge-          l’ensemble du flux de la biomasse
alise une thèse à l’Université de          bleue à miroir, du roselin cramoisi
Bâle chez le Prof. Bruno Brude-            et de nombreux autres petits oi-
rer sur l’influence de l’environ-          seaux. La première preuve que le
nement sur la migration des oi-            martinet à ventre blanc vole pen-
seaux. Il montre dans sa thèse             dant 200 jours d’affilée durant sa
que les migrateurs adaptent leur           migration et dans ses quartiers
altitude de vol, leur direction, leur      d’hiver n’est qu’une parmi tant
vitesse et même leur route migra-          de découvertes majeures.
toire aux conditions de vent. Dans            Avec l’utilisation naissante de
les études radar qu’il entreprend          l’énergie éolienne et les dangers
avec Bruno Bruderer en Israël, en          qu’elle présente pour les migra-
Espagne et en Mauritanie pour              teurs, l’expertise de Felix est de
déterminer l’influence des mers            plus en plus demandée à l’inter-
et des déserts sur la migration,           national. Il crée un groupe de tra-
Felix confirme de cette influence          vail pour l’ornithologie radar ap-
fondamentale du vent. En 2007,             pliquée, qui calcule des modèles
il succède à Bruno Bruderer à la           de déroulement de la migration
Station ornithologique.                    et effectue des expertises pour
    Il se consacre alors plus in-          des sites potentiels d’éoliennes              Les données radar précises obtenues grâce à Felix Liechti ont apporté des
tensément encore aux compor-               en l’Europe. Il conseille égale-              informations importantes pour l'ornithologie et pour la protection des oiseaux
                                                                                         dans le cadre de l’exploitation de l’énergie éolienne (photo : Andreas Eggenberger).
tements migratoires. En étroite            ment pendant de nombreuses

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Mon beau sapin AVINEWS DÉCEMBRE 2021 - Vogelwarte Sempach
AVINEWS DÉCEMBRE 2021 : HOMMAGE

Paysages revalorisés : l’œuvre d’une vie
Connaître, conserver et revaloriser       ser les habitats proches de l’état
les habitats pour les oiseaux et les      naturel. Plus de 230 publications,
autres animaux sauvages a été le          expertises et rapports témoignent
fil conducteur des plus de 30 ans         de ce travail. Relevons en parti-
de Roman Graf à la Station orni-          culier le set de cartes « Espèces
thologique.                               caractéristiques » et le guide pra-
                                          tique « La biodiversité sur l’exploi-
Roman Graf arrive à la Station            tation agricole ». Grâce à son atti-
ornithologique en 1987, au mo-            tude positive, ses talents de négo-
ment précis où une jeune équipe           ciateur, mais aussi sa ténacité, ces
démarre le projet « Lebensraum­           pages ne sont pas restées lettre
inventar Luzern ». Il s’agit de car-      morte. Les succès de Roman au-
tographier et d’estimer la valeur         près de propriétaires fonciers sont
biologique des objets naturels            nombreux – en motivant plus
de tout le canton, afin d’assu-           d’un à rehausser la qualité écolo-
rer leur existence à long terme.          gique de ses terres cultivées. Son
Mais le thème des habitats ne va          dernier grand projet, Roman l’a
pas occuper Roman que pour ce             consacré aux habitats forestiers.
seul projet : il y sera fidèle durant     Grâce aux cartographies qu’il a
toute sa carrière professionnelle.        réalisées, nous connaissons dé-                Même après une longue et dure journée de terrain, Roman Graf est toujours de
Fin connaisseur des oiseaux, des          sormais la composition des fo-                 bonne humeur (photo : Simon Birrer).
insectes et des plantes, et obser-        rêts des carrés kilométriques du
vateur passionné de la nature, il         MONiR. Ce savoir est indispen-
considère que la conservation             sable pour que l’on soit plus tard          tite zone humide au milieu de la        quelques casse-têtes, mais a aussi
d’habitats proches de l’état na-          à même de faire le lien entre les           plaine, tandis que la grande ma-        contribué à ce que des solutions
turel et leur revalorisation font         éventuels changements dans la               jorité des terres était soumise à       pertinentes trouvent une appli-
partie des tâches capitales de la         structure forestière et les popu-           une exploitation agricole très in-      cation dans tout le canton. Au-
protection de la nature. Il s’en-         lations d’oiseaux nicheurs.                 tensive. Il revient à Roman d’avoir     jourd’hui, la plaine de Wauwil
gage dans cette mission aux ni-               Roman a mené des projets                réussi à réunir les agriculteurs et     est certes toujours un paysage de
veaux les plus variés : il développe      dans toute la Suisse, mais il laisse        les autres groupes d’intérêt au-        culture intensive, mais elle est re-
et améliore les méthodes d’inven-         particulièrement sa trace dans la           tour d’une vision commune pour          valorisée par de nombreuses sur-
taire des habitats, et prend aussi        plaine de Wauwil. C’est sur son             la région. De là est aussi né le        faces de promotion de la biodi-
beaucoup de plaisir à effectuer           initiative que le projet de revi-           premier projet de mise en réseau        versité de qualité – et cela change
des cartographies en personne             talisation de cette plaine a vu             du canton de Lucerne, l’un des          tout.
sur le terrain. De retour au bu-          le jour dans les années 1990.               tout premiers de Suisse. Ce rôle            Roman est aussi très actif aux
reau, il analyse les données et fait      À l’époque, la protection de la             de pionnier est allé de pair avec       Grisons. Très tôt déjà, il a mon-
des propositions concrètes et ré-         nature dans la région se limi-              un important travail de dévelop-        tré que l’intensification de l’agri-
alistes pour conserver et revalori-       tait à celle de la réserve, une pe-         pement, ce qui a valu à Roman           culture gagnait même les régions
                                                                                                                              plus élevées des Alpes et a donné
                                                                                                                              l’alerte. Et c’est lui encore qui a si-
                                                                                                                              gnalé les populations de nicheurs
                                                                                                                              des prairies encore conséquentes
                                                                                                                              dans les prairies d’altitude des
                                                                                                                              vallées grisonnes, et qui s’est en-
                                                                                                                              gagé pour leur conservation.
                                                                                                                                  Les qualités de Roman s’expri-
                                                                                                                              ment aussi chaque fois qu’il in-
                                                                                                                              forme et motive toutes les par-
                                                                                                                              ties. Il s’épanouit comme réfé-
                                                                                                                              rent et guide d’excursion. Son
                                                                                                                              style plein d’humour et ses im-
                                                                                                                              menses connaissances sur la flore
                                                                                                                              et la faune font de chacune de
                                                                                                                              ses excursions un moment mar-
                                                                                                                              quant. Il a ainsi incité d’innom-
                                                                                                                              brables personnes à l’imiter et à
                                                                                                                              s’engager pour la nature dans la
                                                                                                                              joie. Cette joie, nous allons as-
                                                                                                                              surément encore la vivre à de
                                                                                                                              nombreuses reprises au contact
                                                                                                                              de Roman, même si l’heure de la
                                                                                                                              retraite va bientôt sonner pour lui.
En pleine action lors de la Journée de la biodiversité : Roman Graf remplit le « baromètre des espèces » dans la plaine de
Wauwil pour sensibiliser le public (photo : Peter Knaus).                                                                                             Simon Birrer

                                                                                                                                                                9
Mon beau sapin AVINEWS DÉCEMBRE 2021 - Vogelwarte Sempach
AVINEWS DÉCEMBRE 2021 : NOUVELLES DE LA RECHERCHE

Modéliser les flux migratoires
La mécanique des fluides et les             ment utilisés en mécanique des
données radar permettent de vi-             fluides ont alors permis d’esti-
sualiser la migration des oiseaux           mer le nombre d’oiseaux qui dé-
et de quantifier les oiseaux qui y          collent et atterrissent.
prennent part.                                 Les cartes obtenues per-
                                            mettent de visualiser les va-
Les oiseaux en migration créent             gues migratoires d’une nuit à
des flux de biomasse qui in-                l’autre. On peut également es-
fluencent les fonctions écosysté-           timer l’accumulation d’oiseaux
miques et l’économie, l’agricul-            au sol et quantifier les flux sai-
ture et la santé par le transport           sonniers. Le nombre d’oiseaux
de nutriments, de graines et de             au sol a augmenté abruptement
parasites. Il est donc important            en mars pour atteindre près de
de les comprendre sur un plan               500 millions d’oiseaux entrant
temporel et spatial. Grâce aux              dans la zone d’étude. Dès le
données obtenues par un ré-                 mois d’août, il chute à nou-
seau de radars météorologiques,             veau : la nouvelle génération           Étourneau sansonnet (photo : Ralph Martin).
il a été possible de modéliser les          est incluse dans les oiseaux quit-
flux migratoires entre février              tant la zone en automne. Lors        Nussbaumer, R., S. Bauer, L. Be-         face 18: 20210194. https://doi.
2018 et janvier 2019 en Europe              du pic de migration, jusqu’à         noit, G. Mariethoz, F. Liechti &         org/10.1098/rsif.2021.0194.
centrale et de l’Ouest. Ces don-            118 millions d’oiseaux décollaient   B. Schmid (2021): Quantifying
nées incluaient la densité, la vi-          la même nuit de printemps et         year-round nocturnal bird migra-
tesse et la direction de vol des            148 millions une nuit d’au-          tion with a fluid dynamics model.
oiseaux. Des calculs habituelle-            tomne.                               Journal of the Royal Society, Inter-

Bourdonnements et bruissements
au-dessus de nos têtes
À l’aide d’un radar, l’activité aé-         L’espace aérien est un habitat im-   diverses activités comme cher-           tensité en été que les pics migra-
rienne des insectes et des oi-              portant pour de nombreux orga-       cher leur nourriture ou pour leur        toires saisonniers. Au printemps,
seaux peut être quantifiée toute            nismes, à l’image des insectes et    dispersion ou migration saison-          oiseaux et insectes montrent
l’année.                                    des oiseaux qui l’utilisent pour     nière. Si les pics des mouvements        une direction moyenne de vol
                                                                                 migratoires sont bien connus, il         contrastée, alors qu’en automne,
                                                                                 reste beaucoup à découvrir sur           oiseaux et insectes se dirigent en
                                                                                 l’activité aérienne annuelle des         direction du sud-ouest. Chez les
                                                                                 oiseaux et des insectes.                 insectes, si l’on fait abstraction
                                                                                     Les radars sont un moyen po-         du pic d’activité diurne en été, il
                                                                                 pulaire pour surveiller les mouve-       y a pendant toutes les saisons au-
                                                                                 ments des animaux volants. Deux          tant de mouvements migratoires
                                                                                 ans de monitoring radar continus         que de mouvements de vol lo-
                                                                                 à la Station ornithologique suisse       caux. Cela signifie qu'une partie
                                                                                 montrent des pics d’activité en          des insectes volants se déplace
                                                                                 été similaires à ceux durant les         toujours avec une certaine direc-
                                                                                 périodes migratoires. Basé sur la        tion préférentielle, éventuelle-
                                                                                 direction des vols enregistrés par       ment influencée par la direction
                                                                                 le radar, un algorithme estime la        du vent.
                                                                                 proportion de mouvements direc-
                                                                                 tionnels (migratoires) et non-di-       Shi, X., B. Schmid, P. Tschanz,
                                                                                 rectionnels (locaux, par exemple        G. Segelbacher & F. Liechti (2021):
                                                                                 pour la recherche de nourriture).       Seasonal Trends in Movement
                                                                                     Ainsi, on estime au moins 3         Patterns of Birds and Insects
                                                                                 millions de passages d’oiseaux et       Aloft Simultaneously Recorded
                                                                                 20 millions de passages d’insectes      by Radar. Remote Sensing 13 :
                                                                                 sur une ligne d’un km au-dessus         1839. https://doi.org/10.3390/
                                                                                 de Sempach chaque année. De             rs13091839.
                                                                                 jour, les mouvements locaux des
Martinet noir (photo : Daniele Occhiato).                                        oiseaux étaient de la même in-

   10
AVINEWS DÉCEMBRE 2021 : A LA RENCONTRE DE ...

… Estel Albertini
Toute petite déjà, Estel Albertini      Son intérêt toujours croissant        plus secs : c’est la huppe fasciée.       Son grand rêve : pouvoir aller
adorait aller se promener avec       la mène à découvrir en 2017              Estel ne sait que trop bien qu’il      un jour au Costa Rica, et vivre la
ses parents dans le joli Parco       la page internet d’ornitho.ch.           faut parfois s’armer de beau-          diversité des espèces et de leurs
della Pace à Locarno. Elle avait     C’est littéralement un nou-              coup de patience pour repérer          couleurs dans les tropiques. Pas
alors surtout une chose en tête :    veau monde qui s’ouvre à elle.           l’oiseau, même s’il s’est déjà si-     étonnant dès lors que l’un de
les plumes !                         Elle suit pendant un temps les           gnalé par son « houpoupoup »           ses plus beaux dessins repré-
                                     nombreuses observations pas-             caractéristique. Mais quel plaisir     sente le guêpier d’Europe – une
Fascinée par l’immense variété       sionnantes récoltées autour de           lorsqu’elle peut enfin l’admirer       espèce aux couleurs exotiques
de leurs formes et de leurs cou-     chez elle, mais elle se met assez        relevant sa huppe ! Les compor-        qu’elle a déjà eu l’occasion d’ob-
leurs, Estel commence à collec-      vite à saisir ses propres observa-       tements si variés des oiseaux la       server au Tessin.
tionner les plumes avec assiduité.   tions. Depuis, elle en a transmis        fascinent tout particulièrement.
Au fil du temps, elle parvient à     plus de 6000 – certaines docu-
identifier à quel oiseau elles ap-   mentées de photo de qualité, car
partiennent, mais aussi à déter-     outre ses jumelles, elle est tou-
miner de quel type de plumes il      jours accompagnée de son ap-
s’agit. Presque en même temps        pareil photo.
se déploie son autre grande              Pour observer les oiseaux,
passion : le dessin. Ses premiers    c’est dans la réserve naturelle
œuvres, elle les crée avec les       des Bolle di Magadino qu’elle
crayons de couleurs de la Sta-       préfère se rendre, et tout par-
tion ornithologique – offerts par    ticulièrement à la cabane d’ob-
ses parents lors d’une excursion     servation de la Bolla Rossa. De là,
au centre de visite. Aujourd’hui,    elle a une vue directe sur le bord
les plumes et les dessins sont ré-   de la roselière et sur les plans
unis, bien classés par espèce et     d’eau et les zones vaseuses at-
accompagnés de descriptions          tenantes, avec l’avantage que
rédigées par elle-même, dans         les oiseaux se laissent obser-
le guide ornithologique tout à       ver de très près, sans être dé-
fait personnel de la Tessinoise      rangés. L’espèce favorite d’Es-
de 15 ans.                           tel aime cependant les milieux               Photo : Arno Schneider.

                                                                                                  AVINEWS DÉCEMBRE 2021 : PERSONNEL

Changements dans l’équipe de la Station
Dans ces lignes, nous voilà à        responsable de la formation du           ainsi avec les domaines IT, marke-     Irene Schumacher et Nils Tor-
souhaiter une fois de plus la        personnel sur les nouveaux pro-          ting et administratif.                 pus, qui ont choisi de continuer
bienvenue, mais aussi – malheu-      grammes.                                    Nous souhaitons une cordiale        sur d’autres voies. Nous perdons
reusement – le meilleur pour la         Pour la dixième fois, la Station      bienvenue à tous les trois et une      trois collaborateurs et collabora-
suite.                               forme la relève dans le cadre d’un       activité enrichissante à la Station    trices engagés, que nous remer-
    Dans le domaine de la re-        apprentissage : Sanja Willimann          ornithologique !                       cions chaleureusement pour leur
cherche, Marie Perennes a investi    effectue chez nous son CFC de               Nous adressons nos plus vifs        investissement. Nous leur souhai-
cet été son poste dans le projet     médiamaticienne et se familiarise        remerciements à Karin Feller,          tons le meilleur pour la suite.
GloBAM, pour un post-doc de
deux ans. Elle soutient l’équipe
de Silke Bauer dans le développe-
ment de modèles qui permettront
de tester des hypothèses concer-
nant le comportement migratoire
des oiseaux, puis de les comparer
avec des données réelles.
    C’est un spécialiste IT che-
vronné que nous accueillons en
la personne de Hans-Peter Eber­
hart. En plus des tâches de sou-
tien et de l’installation de nou-
velles machines, il est notamment       De gauche à droite : Marie Perennes, Hans-Peter Eberhart, Sanja Willimann.

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